San Pedro de Atacama Celestial Explorations

La solution complète pour observer le ciel d'Atacama

Camille Flammarion, la direction des ballons

Lorsque j'étais plus petit :-), j'ai passé pas mal de temps à lire les anciens numéros de l'Astronomie (magazine de la Société Astronomique de France) qui étaient dans l'armoire du club astro du lycée Henri Poincaré à Nancy. Plus tard, j'ai eu la possibilité de lire les premiers numéros de l'Astronomie (la collection de Poincaré commençait dans les années 50) à la bibliothèque des observatoires où j'ai travaillé. 

Dans le très grand nombre d'articles parus depuis plus d'un siècle, certains sont d'anthologie pour l'astronome amateur que je suis. Difficile de passer sur les articles de Lenhard Dahlmark sur la spectroscopie de la Nova Cygni 1975, sur les articles de René Bucaille sur la photographie planétaire (de l'optique adaptative amateur dans les années 1970), et un qui me tient particulièrement à coeur, puisque c'est la première fois que j'entendais parler de télescopes de Schmidt dans le détail, l'article de Robert Lartigau sur les télescopes de Schmidt (Mai 1973). Il y a aussi tous les comptes rendus de la commission des instruments, de l'époque glorieuse de Jean Texereau, jusqu'au présent. Mais, le texte le plus impressionnant que j'ai lu dans l'Astronomie ne parle pas directement d'astronomie, mais de la conquête du ciel. Il date d'Octobre 1884, son titre est "la direction des ballons", et est signé de Camille Flammarion. Il est suivi (dans le même numéro...) d'un article sur "la photographie directe du ciel, pour la construction des cartes d'étoiles de l'amiral Mouchez (un article qui me concerne plus directement, les débuts de la photographie astronomique, avec un objectif que j'ai d'ailleurs racheté il y a quelques années) et d'un autre, encore de Flammarion sur les astres obscurs, à savoir ce que l'on appelle aujourd'hui les trous noirs. 
Je reproduis plus bas cet article avec l'aimable autorisation de la rédaction de l'Astronomie. 

Afin de ne pas copier tout l'article et pour en expliquer rapidement le contexte, le 9 Aout 1884, les capitaines Renard et Krebs furent les premiers au monde à faire un voyage en ballon dirigeable à la vitesse de 19 km/h, partant à proximité de l'observatoire de Meudon, survolant Villacoublay et revenant à leur point de départ. Flammarion décrit toute l'expérience, relate comment "les anglais" ont dénigré les résultats obtenus. L'article va de la page 361 à la page 370. Celle ci en est la conclusion, et elle est étourdissante de vision. On vient à peine de franchir quelques kilomètres dans les airs, et toute l'aviation du 20ème siècle y est contenue, certaines fois avec des mots très précis. Voici cette conclusion : 
... 

Nous émettrions seulement un voeu complémentaire : c'est que l'on tentât aussi d'autres systèmes que l'hélice, par exemple des appareils à réaction, et surtout que l'on fit sur une grande échelle quelques applications à des oiseaux artificiels "plus lourds que l'air". Il est permis de conjecturer que l'aéronautique actuelle conduira plus ou moins directement à l'aviation
Au point de vue militaire et pratique, il y a là une question de haute importance. Ce sera là, assurèment, le meilleur fruit du militarisme passé, présent et futur. Sans doute, malgré l'estime profonde que nous inspirent les personnes des capitaines Renard et Krebs et la vive admiration que nous éprouvons pour leurs travaux, on peut regretter qu'ils appartiennent au corps de l'armée, et que le but actuel de ces belles recherches soit de servir aux instincts les plus grossiers de la race humaine. Peut être même le penseur doit-il craindre de voir la conquête des airs définitivement acquise avant la suppression des armées permanentes, et doit-il regarder avec épouvante les terribles résultats que cette innovation nous prépare : batailles navales aériennes, pluies de feu, d'hommes et de sang, choc des armées dans un effondrement général, piraterie nouvelle et sans limites régnant dans l'atmosphère entière, et, quelque jour, après une année de trêve sinistre, des millions de vautours humains s'abattant sur une contrée pour y semer la mort et la barbarie... Oui, peut être cette découverte arrive-t-elle trop tôt, car, à parler franchement, la prise de possession de l'empire des airs serait prématurée tant qu'il y aura des frontières et des divisions nationales. 
Et bien, non ! Ayons foi dans le progrès. Le monde marche. L'humanité commence à penser. La navigation aérienne précipitera la solution du grand problème social qui se pose magistralement aujourd'hui entre tous les peuples. Les divers gouvernements consentiront peut-être à s'avouer qu'ils sont idiots. Il y aurait là de la grandeur d'âme et de la noblesse. Jamais ils n'auraient dit si vrai, et jamais ils n'auraient été si grands. Et le résultat de cette aveu serait la richesse publique, la paix du monde, la lumière et la liberté.

CAMILLE FLAMMARION - Octobre 1884

Juste "pour la route", même si Flammarion gomme l'idée de Laplace sur des astres si lourds que même la lumière ne peut s'en échapper, et parce que c'est beau, la fin de l'article sur les astres obscurs : 
... 

Il y a donc des soleils éteints, des astres obscurs, et sans doute en nombre beaucoup plus considérable que les astres lumineux. 
Ces soleils d'autrefois, leurs planètes fidèles, gravitent inconnus dans toutes les directions de l'espace. Il nous semble que ce soient autant de cimetières glacés, mornes, tournant fatalement dans les cercles infernaux de l'éternel oubli. Mais pourquoi ? Plus de lumière ! plus de chaleur ! plus de bruit ! plus de vie !... Qui sait ? Séjours étranges, ni terrestres, ni lunaires, ni solaires. Rien de ce que nous savons. Sans doute. Mais l'éternelle obscurité du fond de la mer n'est-elle pas peuplée d'êtres merveilleux, bizarres, fantastiques, producteurs de lumière (aux yeux phosphorescents même), qui se sont tranquillement créé là tout un mode d'existence inexplicable pour nous, mais parfaitement réel et auquel sont appropriées leurs moeurs et leurs idées. C'est l'inconnu; oui, l'inconnu, devant lequel le connu est un grain de sable dans l'océan. 

CAMILLE FLAMMARION - Octobre 1884

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